4.2.1 Justification et données probantes

Le diagnostic de la tuberculose chez l’enfant repose sur une évaluation minutieuse de l’ensemble des éléments obtenus à partir des antécédents d’exposition, de l’examen clinique et des examens complémentaires pertinents. Il existe aujourd’hui plusieurs algorithmes et systèmes de score pour établir le diagnostic de la tuberculose chez l’enfant, mais aucun n’a fait l’objet d’une évaluation systématique. Il est donc important de disposer d’un ou de plusieurs algorithmes de décision thérapeutique pratiques et fondés sur des données probantes, de préférence pour des milieux différents en termes d’accès aux tests diagnostiques et à la radiographie thoracique.

Question PICO : chez les enfants âgés de moins de 10 ans qui ont une tuberculose pulmonaire présumée et qui se rendent dans un établissement de soins, le diagnostic de tuberculose pulmonaire doit-il être posé à l’aide d’algorithmes intégrés de décision thérapeutique plutôt qu’en utilisant une norme de référence microbiologique ou composite?

Données probantes. Une méta-analyse a été réalisée sur un ensemble de données individuelles de patients pour répondre à la nécessité d’évaluer et de développer des algorithmes intégrés de décision thérapeutique fondés sur des données probantes, de préférence pour différents milieux en termes d’accès aux tests diagnostiques et à la radiographie thoracique. Pour cette analyse, une métacohorte regroupant différentes bases de données individuelles de patients, constitués de données d’évaluations diagnostiques d’enfants âgés de moins de 10 ans, a été créée afin de déterminer la sensibilité et la spécificité des algorithmes (ou scores) de décision thérapeutique pour l’identification de la tuberculose pulmonaire, en utilisant les définitions de cas cliniques actualisées pour la classification de la tuberculose intrathoracique chez les enfants (31). Une demande de données a été envoyée aux responsables des études en février 2021. Des bases de données individuelles de patients ont été obtenus de plusieurs études menées dans des pays géographiquement différents et à forte charge de tuberculose. La sensibilité et la spécificité de l’algorithme dans la classification de la tuberculose ont été évaluées par rapport à l’algorithme du Guide de L’Union pour le diagnostic et la prise en charge de la tuberculose chez l’enfant (32), conçu pour tenter de rendre opérationnelles les orientations de l’OMS de 2014 (8) et qui décrit les différentes étapes à suivre par les agents de santé pour évaluer les enfants qui ont une tuberculose pulmonaire présumée.

Afin d’utiliser au mieux les données disponibles pour comparer les performances de ces algorithmes dans différents milieux, les variables manquantes ont été imputées, les définitions de variables qui n’étaient pas homogènes ont été fusionnées et de légères modifications ont été apportées aux algorithmes ou aux scores pour permettre l’utilisation des variables disponibles dans les différentes bases de données individuelles de patients. Au total, 14 études, représentant 5494 enregistrements, ont été incluses, et 4811 de ces enregistrements ont été retenus dans cette analyse (26, 33-47). Des études provenant de 13 pays (dont 12 pays à forte charge de tuberculose, de tuberculose/ VIH et/ou de TB-MR) de 5 des 6 régions de l’OMS ont été incluses. L’âge médian des enfants de la cohorte utilisée dans la méta-analyse destinée à étayer cette recommandation était de 26 mois (intervalle interquartile : 13,4 à 58,3 mois) ; 38 % des enfants étaient atteints de tuberculose, avec une confirmation bactériologique chez 30 % d’entre eux ; 20 % des enfants vivaient avec le VIH ; et 14 % avaient une malnutrition aiguë sévère.

Sept algorithmes ou systèmes de score ont été retenus pour cette évaluation : l’algorithme du Programme national de lutte contre la lèpre et la tuberculose (PNLT) de l’Ouganda (48), le Système de score de la tuberculose pulmonaire chez l’enfant du Ministère de la Santé du Brésil (49), l’algorithme de Gunasekera et al. 2021 (50), le score de Keith Edward (51), l’algorithme de Marcy et al. 2019 (52), le score de Stegen-Toledo (53) et les critères de Marais et al. 2006 (54). Les estimations combinées de la sensibilité et de la spécificité de chacun des algorithmes/scores ont été comparées à l’algorithme de soins standard [c’est-à-dire l’algorithme du Guide de L’Union, qui constituait la norme de référence (32)] pour les enfants âgés de moins de 10 ans, pour les enfants vivant avec le VIH, pour les enfants atteints de malnutrition aiguë sévère et pour les enfants âgés de moins de 1 an.

Pour l’ensemble de la population des enfants âgés de moins de 10 ans, la sensibilité combinée des sept algorithmes ou systèmes de score était comprise entre 16 % (critères de Marais et al.) et 95 % (algorithme de Gunasekera et al.), et la spécificité combinée était comprise entre 9 % (algorithme de Gunasekera et al.) et 89 % (critères de Marais et al.) (voir l’annexe 3 disponible sur le Web).

Observations du GDG. Le GDG a estimé que les algorithmes comportant des critères cliniques ont un rôle important à jouer dans la prise de décision concernant la mise sous traitement antituberculeux des enfants, en particulier aux niveaux périphériques du système de santé. Un fort consensus s’est dégagé parmi les membres du groupe concernant la nécessité et l’importance de travailler sur des algorithmes de décision thérapeutique afin d’améliorer la détection des cas de tuberculose chez les enfants. Un avantage important des algorithmes reposant sur des données probantes (puisqu’ils attribuent des facteurs de pondération obtenus par modélisation aux informations collectées lors de l’évaluation clinique) est que ce processus de modélisation permet de déterminer le facteur de pondération à attribuer à certaines caractéristiques cliniques, plutôt que de se baser uniquement sur l’opinion d’experts. Le groupe d’experts a fait remarquer que les données des bases de données individuelles de patients provenaient principalement d’établissements de soins du niveau tertiaire, où la proportion d’enfants atteints de tuberculose confirmée est plus élevée que dans les hôpitaux de district ou les centres de SSP. Il a été constaté que ces bases de données présentaient un niveau élevé d’hétérogénéité. Du fait du nombre limité d’études, il n’a pas été possible d’effectuer une analyse de méta-régression par niveau du système de soins de santé.

Le GDG a conclu qu’aucun des algorithmes évalués ne s’est avéré optimal, que ce soit en termes de sensibilité ou de spécificité, et que le niveau de preuve était très faible. Il a également souligné que les algorithmes dont la sensibilité est élevée (correspondant à un nombre limité de faux négatifs) ont généralement une faible spécificité (correspondant à un nombre élevé de faux positifs) et vice versa. Le groupe a réfléchi aux conséquences que peuvent avoir des diagnostics faussement négatifs et faussement positifs établis sur la base d’algorithmes intégrés de décision thérapeutique, et a convenu qu’il était plus important d’éviter de passer à côté d’un diagnostic de tuberculose chez un enfant atteint de cette maladie, étant donné le nombre important de cas non détectés et les conséquences que peut avoir le fait de passer à côté d’un diagnostic de tuberculose.

Au cours de ses délibérations, et sur la base de l’examen des données probantes, le GDG a envisagé les possibilités suivantes : (i) choisir l’un des algorithmes examinés en vue d’une éventuelle recommandation ; (ii) formuler une recommandation générique sur l’utilisation des algorithmes intégrés de décision thérapeutique et présenter de nouveaux algorithmes fondés sur les données probantes dans le manuel opérationnel ; et (iii) faire une déclaration sur la nécessité de poursuivre les études sur les algorithmes de décision thérapeutique, en confirmant la nécessité de disposer de tels algorithmes.

Le GDG a jugé que les données disponibles ne suffisaient pas à étayer une recommandation pour un algorithme particulier ; il a donc décidé de formuler une recommandation générique sur l’utilisation des algorithmes de décision thérapeutique, et de décrire les nouveaux algorithmes concernant des sous-groupes et/ou des milieux pertinents dans le manuel opérationnel. La décision d’opter pour une recommandation générique tient compte d’une part des pratiques actuelles des agents de santé qui fondent leur décision de commencer un traitement antituberculeux chez les enfants sur une combinaison associant signes et symptômes cliniques, antécédents de contact avec la tuberculose et résultat d’examens complémentaires, et d’autre part de la nécessité d’élaborer des approches fondées sur des données probantes pour cette pratique. En outre, une recommandation conditionnelle a été jugée la plus appropriée, compte tenu de la nécessité de réduire le nombre de cas de tuberculose non détectés chez les enfants et de la nécessité de disposer de données supplémentaires sur l’utilisation des algorithmes intégrés de décision thérapeutique dans les programmes.

Le GDG a également donné la priorité à la nécessité de diminuer le nombre de résultats faussement négatifs, tout en acceptant un certain degré de surdiagnostic, et à celle de limiter les orientations vers des services spécialisés et les tests inutiles pour les enfants. Les membres du GDG ont estimé qu’une recommandation générale accompagnée d’un guide opérationnel sur l’utilisation d’algorithmes fondés sur des données probantes intégrant l’utilisation de tests diagnostiques rapides et de critères cliniques donnerait aux agents de santé, y compris dans les milieux où l’accès aux outils diagnostiques
est limité, les moyens de prendre des décisions sur le démarrage d’un traitement antituberculeux chez les enfants.

Le GDG a conclu que limiter la durée de validité de cette recommandation conditionnelle à une période de 24 mois permettrait de mettre en place et de mener des études pour obtenir de nouvelles données, notamment des études de validation externe des algorithmes, des travaux de recherche sur la mise en oeuvre et de recherche opérationnelle, des études de modélisation pour déterminer l’impact potentiel des algorithmes de décision thérapeutique, et des travaux de recherche qualitative sur la faisabilité et l’acceptabilité pour les agents de santé et les familles (des informations détaillées sur les priorités de recherche sont présentées au chapitre 8).

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