1.5 Considérations liées à la mise en oeuvre

Les taux élevés de succès thérapeutique indiqués pour les schémas thérapeutiques BPaLM et BPaL dans l’étude Nix-TB et dans les essais ZeNix et TB-PRACTECAL et la comparaison favorable avec les schémas de référence actuels ont donné lieu à des discussions approfondies lors de la réunion du GDG sur une recommandation globale pour la mise en oeuvre dans des conditions programmatiques habituelles et sur les considérations de mise en oeuvre de ce schéma. Cette recommandation étant conditionnelle, les résultats de recherches opérationnelles supplémentaires ou en cours apporteront des connaissances supplémentaires pouvant être utilisées pour ajuster et améliorer les orientations sur la mise en oeuvre du schéma thérapeutique.

Sélection des patients

Globalement, afin de reproduire les taux de succès thérapeutique observés dans les essais ZeNix et TB-PRACTECAL, il est important de sélectionner rigoureusement les patients éligibles. Une fois ces patients recrutés, il est également important de leur apporter un soutien efficace visant à permettre l’observance du traitement. Il est tout aussi important de maintenir une étroite surveillance des événements indésirables, de la réponse au traitement et de l’apparition d’une résistance aux médicaments, d’assurer une bonne prise en charge des réactions indésirables aux médicaments et de prévenir les complications dues à des interactions médicamenteuses.

La sélection des patients est ce qui correspond le mieux aux critères d’éligibilité de deux essais (également reflétés dans les considérations liées aux sous-groupes ci-dessus). Les patients pouvant bénéficier du schéma BPaLM/BPaL doivent être atteints d’une tuberculose MR-RR confirmée bactériologiquement, avec ou sans résistance aux fluoroquinolones.

Test de sensibilité aux médicaments

Il est important d’être attentif à l’utilisation antérieure des médicaments composant ce schéma thérapeutique et au statut de sensibilité. Les patients ayant déjà utilisé pendant plus d’un mois la bédaquiline, le prétomanide (ou le délamanide, compte tenu d’un certain degré de résistance croisée) et le linézolide ne doivent pas être recrutés pour ce schéma thérapeutique, à moins que les résultats d’un DST récent n’aient confirmé leur sensibilité à ces médicaments. En cas d’absence d’utilisation antérieure de ces médicaments ou de sensibilité confirmée, des tests de résistance aux fluoroquinolones doivent également être effectués avant le début du traitement. Cependant, les tests de résistance aux fluoroquinolones ne doivent pas différer le début du traitement (p. ex. dans les cas où ce DST n’est pas disponible ou lorsque les résultats sont retardés). Lorsque les résultats du DST confirment la sensibilité aux fluoroquinolones, le traitement peut être poursuivi sans modification. En cas de résistance aux fluoroquinolones, la moxifloxacine doit être abandonnée et le schéma doit être poursuivi sous forme de BPaL uniquement. Cette modification peut sembler paradoxale, car les patients atteints de tuberculose résistante à un plus grand nombre de médicaments recevront moins de médicaments antituberculeux. Cependant, il est peu probable que la moxifloxacine apporte un bénéfice en présence d’une résistance aux fluoroquinolones et il a été démontré que le traitement par BPaL était très efficace sans la moxifloxacine. Dans le contexte de la résistance aux fluoroquinolones, la suppression de la moxifloxacine permettra d’éviter une toxicité potentielle liée à ce médicament. Inversement, en l’absence de résistance aux fluoroquinolones, l’utilisation de la moxifloxacine augmente encore l’efficacité du schéma thérapeutique et peut fournir une protection contre la résistance acquise à la bédaquiline, et par conséquent est recommandée. Si les résultats du DST pour la fluoroquinolone ne sont pas disponibles, le GDG a estimé que les bénéfices probables du maintien de la moxifloxacine dans le schéma l’emportent sur les préjudices potentiels ; par conséquent, l’OMS préconise d’utiliser le schéma BPaLM dans cette situation.

La mise en place et le renforcement des services de DST constituent un aspect essentiel pour la mise en oeuvre de tous les schémas thérapeutiques pour la tuberculose MR-RR. Chez les patients atteints de tuberculose MR-RR confirmée bactériologiquement, les tests Xpert® MTB/XDR (Cepheid) ou GenoType® MTBDRsl (Hain Lifescience) peuvent être utilisés comme test initial, en remplacement de la mise en culture et du DST phénotypique, pour détecter la résistance aux fluoroquinolones (33,34). Si des tests de sensibilité à la bédaquiline ou au linézolide sont disponibles, il est hautement souhaitable qu’ils soient également effectués au début et en l’absence de conversion de culture pendant le traitement. Le test de sensibilité pour le prétomanide n’est pas encore disponible. Toutefois, l’OMS prévoit de fixer des concentrations critiques pour le DST phénotypique dans la prochaine mise à jour du rapport technique sur les concentrations critiques pour la réalisation de DST aux médicaments utilisés dans le traitement de la tuberculose pharmacorésistante (35).

À l’heure actuelle, les capacités pour effectuer des DST pour la bédaquiline et le linézolide sont limitées à l’échelle mondiale. Les capacités de laboratoire doivent être renforcées dans ce domaine compte tenu de l’utilisation de plus en plus large de ces médicaments et des schémas les contenant. Les laboratoires nationaux et de référence devront disposer des installations et des réactifs nécessaires pour rendre les DST disponibles ; ils auront également besoin de données sur la distribution de la concentration minimale inhibitrice (CMI) de toutes les lignées de M. tuberculosis qui circulent à l’échelle mondiale. L’établissement ou le développement des capacités de séquençage de M. tuberculosis peut fournir une plateforme solide et pérenne pour le DST. Si la résistance à l’un des médicaments du schéma BPaL est détectée, le traitement avec un autre schéma recommandé doit être débuté. Le Réseau de laboratoires supranationaux de référence (LSR) de l’OMS est disponible pour aider les laboratoires nationaux de référence de la tuberculose à effectuer des DST de qualité garantie. Une consultation technique de l’OMS en 2017 a fixé des concentrations critiques pour les tests de sensibilité pour les fluoroquinolones, la bédaquiline, le délamanide, la clofazimine et le linézolide (35). Des méthodes pour tester la sensibilité au prétomanide sont actuellement en cours de développement. Lorsque les méthodes pour les DST seront disponibles, les pays devront ajouter la surveillance de la résistance aux nouveaux médicaments à leurs activités ou enquêtes habituelles. Ces données peuvent guider l’adoption et l’utilisation de nouveaux traitements et protéger contre l’amplification des profils de résistance.

Interactions médicamenteuses

Il est important de tenir compte des interactions médicamenteuses lors de l’administration concomitante de médicaments contre la tuberculose et le VIH, y compris les interactions attestées entre la bédaquiline et l’éfavirenz (36). L’éfavirenz réduit de façon significative l’exposition au prétomanide ; par conséquent, un autre antirétroviral doit être envisagé si le prétomanide fait partie du schéma BPaLM/BPaL (32). Les traitements antirétroviraux privilégiés pour l’administration concomitante avec le BPaLM/BPaL sont des schémas à base de dolutégravir en association avec deux inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse.

Les médicaments suivants doivent être évités ou peuvent nécessiter des précautions supplémentaires pendant le traitement avec le BPaLM/BPaL :

  • efavirenz;
  • es médicaments connus pour allonger significativement l’intervalle QTc, notamment les neuroleptiques-phénothiazines (p. ex. thioridazine, halopéridol, chlorpromazine, trifluopérazine, péricycline, prochlorpérazine, fluphénazine, sertindole et pimozide), l’ondanstérone, les antipaludéens à base de quinoléine (p. ex. halofantrine, chloroquine, hydroxychloroquine et quinacrine), les antiarythmiques (p. ex. quinidine, procaïnamide, encaïnide, disopyramide, amiodarone, flecaïnide et sotalol) et les fluoroquinolones autres que celles incluses dans les schémas d’essai ;
  • es puissants inducteurs du CYP3A4 (p. ex. phénytoïne, carbamazépine, phénobarbital, millepertuis [hypericum perforatum], rifamycines et doses multiples de dexaméthasone par voie systémique)
  • les puissants inhibiteurs du CYP3A4 (p. ex. antifongiques azolés : kétoconazole, voriconazole, itraconazole et cétolides tels que la télithromycine ; et les antibiotiques macrolides autres que l’azithromycine) pendant plus de 2 semaines ;
  • inhibiteurs de la monoamine oxydase (phénelzine, isocarboxazide et tranylcypromine) ; et
  • les médicaments connus pour induire une myélosuppression (p. ex. azathioprine et agents cytotoxiques).

Soins et soutien

L’administration du traitement associée au soutien des patients peut favoriser l’observance et garantir une efficacité et une innocuité optimales du médicament. Les mesures visant à soutenir l’observance des patients (p. ex. en facilitant les visites des patients dans les établissements de soins de santé ou les visites à domicile du personnel soignant, ou en utilisant les technologies numériques pour la communication quotidienne) peuvent être importantes pour maintenir les patients dans le traitement, même si le schéma est comparativement court (37). Les recommandations de l’OMS sur les soins et le soutien et un manuel connexe sont disponibles sur le Web dans le document WHO consolidated guidelines on tuberculosis. Module 4 : Treatment – tuberculosis care and support (38).

Système actif de contrôle et de gestion de l’innocuité des médicaments antituberculeux

Une surveillance étroite des effets indésirables du traitement est particulièrement importante pour les schémas thérapeutiques plus courts et pour les schémas incluant de nouveaux médicaments (p. ex., ce schéma comprend un nouveau composant, le prétomanide), afin de garantir une guérison sans rechute. La pharmacovigilance active, la bonne prise en charge des réactions indésirables aux médicaments et la prévention des complications dues aux interactions médicamenteuses permettront d’assurer des soins appropriés aux patients ; et le signalement de toute réaction indésirable au médicament à l’autorité compétente dans le pays éclairera les politiques nationales et mondiales (39).

Des informations supplémentaires sur le système actif de contrôle et de gestion de l’innocuité des médicaments antituberculeux (aDSM) figurent dans le manuel opérationnel.

Composition du schéma, posologie des médicaments qui le composent et fréquence

Le schéma BPaLM/BPaL est composé de bédaquiline, prétomanide et linézolide, avec ou sans moxifloxacine pendant toute la durée du traitement. Le prétomanide est administré à une dose de 200 mg une fois par jour pendant toute la durée du traitement. Lorsque la moxifloxacine fait partie du traitement, elle est dosée à 400 mg une fois par jour pendant toute la durée du traitement. La fluoroquinolone de choix utilisée dans l’essai TB-PRACTECAL était la moxifloxacine  ; étant donné qu’aucune donnée sur l’utilisation d’autres fluoroquinolones n’était disponible au moment des évaluations du GDG, le remplacement de la moxifloxacine par la lévofloxacine ou toute autre fluoroquinolone ne peut être recommandé à ce stade. La fréquence d’administration doit être de 7 jours par semaine avec un soutien au traitement ou en utilisant un traitement assisté par vidéo, c’est-à-dire comme il était administré dans les deux essais.

Schémas posologiques de la bédaquiline

Les essais TB-PRACTECAL et ZeNix ont utilisé des schémas posologiques légèrement différents pour la bédaquiline, même si l’exposition globale au médicament était comparable (23). Le schéma posologique utilisé dans l’essai TB-PRACTECAL était conforme à la notice du produit, tandis que le schéma posologique utilisé dans l’essai ZeNix avait pour avantage une administration quotidienne tout au long du schéma et pouvait être utilisé comme l’une des options pour l’administration. L’un ou l’autre des schémas posologiques de la bédaquiline peut être utilisé pour la mise en oeuvre programmatique :

  • tous les jours pendant toute la durée du traitement : 200 mg une fois par jour pendant 8 semaines, puis 100 mg une fois par jour ; et
  • tous les jours pour la dose de charge puis trois fois par semaine : 400 mg une fois par jour pendant 2 semaines puis 200 mg trois fois par semaine.

Dosage du linézolide

L’essai ZeNix a utilisé plusieurs doses et durées différentes du linézolide, dans le but de déterminer le schéma d’administration optimal de ce médicament. Le linézolide est connu pour provoquer plusieurs effets indésirables potentiellement graves, les plus préoccupants étant notamment la neuropathie périphérique, la névrite optique et la myélosuppression (40). L’examen par le GDG des données de l’essai ZeNix a permis de déterminer que la dose optimale de linézolide était de 600 mg une fois par jour pendant 26 semaines, et ce bras de l’essai ZeNix a été utilisé pour les principales comparaisons. Les participants à l’étude dans ce bras de l’essai ont reçu 600 mg de linézolide une fois par jour pendant 26 semaines, avec une réduction à 300 mg par jour autorisée en cas de toxicités spécifiques au linézolide. Dans l’essai TB-PRACTECAL, la posologie du linézolide était légèrement différente – les participants recevaient 600 mg par jour pendant 16 semaines, puis 300 mg par jour pendant les 8 semaines restantes (la durée du BPaLM dans cet essai était de 24 semaines).

Le GDG a considéré qu’il serait préférable d’utiliser du linézolide 600 mg/jour pendant toute la durée du traitement, mais que la dose pouvait être réduite à 300 mg/jour si nécessaire pour atténuer la toxicité.

Durée, modifications et prolongations du schéma thérapeutique

Les schémas BPaLM et BPaL ont été étudiés en tant que traitements normalisés. Par conséquent, la modification du schéma par l’arrêt précoce ou le remplacement de l’un des médicaments qui le composent peut entraîner des résultats thérapeutiques différents (voire plus mauvais). Dans l’essai TB-PRACTECAL, les patients ont reçu le BPaLM pendant 24 semaines. Dans l’essai ZeNix, le traitement a été prolongé jusqu’à un total de 9 mois chez les patients sous le schéma BPaL dont la culture restait positive ou était devenue positive entre les mois 4 et 6, ou dont l’état clinique laissait à penser qu’ils pouvaient avoir une tuberculose évolutive. Dans les cas où le traitement était interrompu et où la durée du traitement était prolongée pour compenser les doses manquées, les patients devaient terminent 6 mois du schéma (c’est-à-dire 26 semaines de doses prescrites) dans les 8 mois ; de même, lorsque le traitement était prolongé, les patients devaient terminer 9 mois de traitement (c’est-à-dire 39 semaines de doses prescrites) dans les 12 mois.

Les patients éligibles présentant une sensibilité aux fluoroquinolones peuvent commencer le schéma BPaLM pendant 6 mois, avec un dosage des médicaments individuels tel que décrit ci-dessus. Cette association de médicaments peut être poursuivie tout au long du schéma sans prolongation (à moins qu’il ne soit nécessaire de compenser les doses manquées). Dans les cas où une résistance aux fluoroquinolones est identifiée avant ou après le début du traitement, la moxifloxacine peut être arrêtée. Lorsque le schéma est le BPaL depuis le début ou lorsqu’il est remplacé par le BPaL, il peut être prolongé jusqu’à un total de 39 semaines (en comptant depuis le début du traitement par le BPaLM/BPaL). Cette prolongation se justifie en cas d’échec de conversion de culture entre les mois 4 et 6 mois pendant le traitement ou elle peut être fondée sur le jugement clinique du médecin traitant. Il est possible de prolonger la durée globale du traitement jusqu’à un mois s’il est nécessaire de compenser les doses manquées.

Le GDG a tenu compte de ces légères différences dans la durée de traitement des schémas BPaLM et BPaL telles qu’étudiées dans ces deux essais et a suggéré de normaliser la durée du BPaLM à 6 mois (26 semaines) pendant la mise en œuvre programmatique ; pour le BPaL, il a préconisé la possibilité d’une prolongation jusqu’à un total de 9 mois (39 semaines) si les cultures d’expectorations sont positives entre les mois 4 et 6. Tous les médicaments du schéma doivent être utilisés pendant toute la durée du traitement, y compris en cas de prolongation de 26 à 39 semaines (lorsque le BPaL est utilisé). Idéalement, il faudrait éviter les doses manquées de l’ensemble des trois ou quatre médicaments qui composent le schéma thérapeutique ; toutefois, en cas de doses manquées, toute interruption supérieure à 7 jours doit être compensée par la prolongation de la durée du traitement (correspondant au nombre de doses manquées) ; par conséquent, 26 ou 39 semaines de doses prescrites doivent être effectuées dans une période globale de 7 ou 10 mois, respectivement.

Doses manquées et tolérances pour les interruptions de traitement

Les essais TB-PRACTECAL et ZeNix ont utilisé des tolérances différentes pour l’interruption du traitement et les doses manquées, et le protocole de l’essai ZeNix prévoyait des règles spécifiques pour l’administration du linézolide.

Le GDG a suggéré de normaliser les doses manquées autorisées et le mode d’administration du linézolide. L’approche pragmatique suivante est préconisée pour guider le jugement clinique et d’éventuels écarts mineurs dans les cas individuels :

  • tous les efforts possibles doivent être déployés pour soutenir le patient et prendre en charge les événements indésirables afin de garantir que le traitement ne soit pas interrompu et que tous les médicaments soient pris ; toutefois, lorsque le médicament n’est pas toléré, il doit être arrêté ;
  • une interruption consécutive du traitement (de tous les médicaments du schéma) d’une durée maximale de 2 semaines doit être compensée et ajoutée à la durée du traitement ;
  • les doses manquées non consécutives de tous les médicaments du schéma jusqu’à un total cumulé de 4 semaines doivent être compensées et ajoutées à la durée du traitement ; et
  • après une administration consécutive de linézolide aux doses recommandées (600 mg/jour) pendant au moins 9 semaines, en cas d’intolérance, la dose peut être réduite ( jusqu’à 300 mg/ jour de linézolide) ou supprimée (tout en poursuivant les autres médicaments du schéma) pendant un total maximum de 8 semaines tout au long du traitement.

Si une de ces tolérances est dépassée, il convient de procéder à une évaluation approfondie de l’état du patient pour décider de la poursuite ou de la modification de la stratégie thérapeutique.

Book navigation