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La tuberculose pharmacorésistante reste un problème de santé publique qui a de lourdes conséquences sur les patients, les communautés et les systèmes de santé. Selon de récentes estimations mondiales, il y a eu environ un demi-million de nouveaux cas de tuberculose multirésistante ou résistante à la rifampicine (MR-RR) en 2018, moins de 40 % de la charge estimée ayant été notifiée et 32 % des cas auraient débuté un traitement de deuxième intention (1). Les schémas thérapeutiques actuels pour les patients atteints de tuberculose MR-RR sont loin d’être satisfaisants. Par rapport aux traitements des formes de tuberculose pharmacosensibles, ces schémas durent plus longtemps, impliquent une lourde charge médicamenteuse, et contiennent des médicaments avec un profil de toxicité important ; en outre, les patients peuvent développer des événements indésirables importants et avoir des issues thérapeutiques moins bonnes. À l’échelle mondiale, malgré une augmentation des taux de succès thérapeutique, près de 15 % des patients atteints de tuberculose MR-RR meurent de la maladie (1).
Le Programme mondial de lutte contre la tuberculose de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS/GTB) regroupe actuellement toutes les recommandations actuelles en un ensemble de lignes directrices unifiées sur la tuberculose. Ces lignes directrices contiendront des recommandations relatives à tous les domaines liés à la gestion programmatique de la tuberculose (p. ex. le dépistage, le traitement préventif, le diagnostic, le soutien aux patients ainsi que le traitement de la tuberculose pharmacosensible et pharmacorésistante). Elles seront composées de modules spécifiques à chaque domaine programmatique. Le présent module porte sur le traitement de la tuberculose pharmacorésistante ; il présente des recommandations de l’OMS qui ont été récemment formulées et qui sont publiées ici pour la première fois, ainsi que les recommandations existantes qui ont déjà été publiées dans d’autres lignes directrices de l’OMS ayant appliqué l’approche GRADE (Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation).
Structure du document
La partie recommandations de ce document comprend sept grandes sections portant sur différents aspects du traitement de la tuberculose pharmacorésistante. Les aspects abordés sont les suivants :
- le schéma thérapeutique de 6 mois bédaquiline-prétomanide-linézolide-moxifloxacine (BPaLM) chez les patients atteints de tuberculose MR-RR ou de tuberculose pré-ultrarésistante (tuberculose pré-UR) (Section 1) ;
- les schémas thérapeutiques entièrement oraux de 9 mois pour la tuberculose MR-RR (Section 2) ;
- la composition et la durée des schémas plus longs pour la tuberculose MR-RR (Section 3) ;
- le traitement de la tuberculose sensible à la rifampicine et résistante à l’isoniazide (tuberculose-Hr) (Section 4) ;
- le suivi de la réponse des patients au traitement de la tuberculose MR-RR (Section 5) ;
- le traitement antirétroviral (TARV) pour les personnes sous des schémas pour la tuberculose MR-RR (Section 6) ;
- le rôle de la chirurgie pour les patients sous traitement de la tuberculose MR-RR (Section 7) ;
Chaque section comprend en premier lieu les recommandations actuelles de l’OMS pour l’aspect en question, puis des informations concernant les données sur lesquelles reposent ces recommandations ; un résumé des analyses qui ont été effectuées sur la base des données probantes ; des considérations liées aux sous-groupes spécifiques ; ainsi que des considérations sur la mise en oeuvre et le suivi et l’évaluation. Les lacunes de recherche identifiées pour chacune des sections sont ensuite présentées. Les annexes en ligne fournissent plus de détails sur les méthodes, les groupes d’élaboration des lignes directrices (GDG), les analyses, les données non publiées et les plans d’analyse statistique. Des informations supplémentaires sur la prise en charge de la tuberculose MR-RR sont présentées dans le chapitre correspondant du Manuel opérationnel de l’OMS sur la tuberculose, un document distinct conçu pour contribuer aux efforts de mise en oeuvre (2,3). Les recommandations détaillées présentées ici remplacent toutes les lignes directrices de l’OMS sur le traitement de la tuberculose pharmacorésistante, passées et présentes.
Contexte
Le traitement efficace de la tuberculose, y compris ses formes pharmacorésistantes, dépend de l’utilisation de plusieurs médicaments administrés de façon concomitante pendant une durée adaptée. D’importants progrès ont été réalisés ces dernières années pour identifier des médicaments plus efficaces et plus sûrs ainsi que des schémas thérapeutiques plus courts. Depuis les années 1990, l’OMS évalue régulièrement les données sur l’utilisation de compositions pharmaceutiques spécifiques et l’association de différentes durées de traitement (4–13). Par le passé, les patients présentant des formes de pharmacorésistance étaient souvent traités pendant 20 mois ou plus. En 2016, un schéma thérapeutique plus court normalisé (9 à 12 mois) a été recommandé pour les patients atteints de souches de la tuberculose MR-RR non résistantes aux fluoroquinolones ou aux agents injectables de deuxième intention, tandis que les schémas plus longs (18 à 20 mois) restaient une option pour les patients qui ne pouvaient bénéficier du traitement plus court. Les modifications apportées par la suite à ces schémas thérapeutiques ont conduit l’OMS à examiner de nouvelles données, ce qui a abouti à des recommandations révisées, mettant en balance l’efficacité et la nocivité des nouveaux schémas ou à des modifications des schémas recommandés.
L’intérêt de réduire la durée du traitement de la tuberculose MR-RR a incité ces dernières années plusieurs initiatives à traiter les patients avec des schémas plus courts dans des conditions programmatiques et des conditions d’essai (14-19). Lorsqu’ils sont utilisés chez des patients soigneusement sélectionnés atteints de tuberculose MR-RR qui n’ont pas été exposés auparavant ou qui n’ont pas de résistance supplémentaire aux médicaments de deuxième intention, ces schémas thérapeutiques peuvent permettre d’obtenir une guérison sans rechute dans environ 80 % des cas ou plus, même dans des conditions programmatiques (14, 18). En 2016, sur la base des données d’études d’observation sur les schémas normalisés plus courts menées dans différents pays d’Afrique et d’Asie, l’OMS a recommandé pour la première fois un schéma normalisé plus court de 9 à 12 mois contre la tuberculose MR pour les patients éligibles (11). En 2018, à l’issue des résultats de l’essai de phase 1 du Schéma thérapeutique standard des médicaments antituberculeux pour les patients atteints de tuberculose-MR (STREAM), une recommandation révisée sur l’utilisation d’un schéma plus court pour la tuberculose MR a été publiée, suite à une évaluation des données et à la classification des avantages et des préjudices attribués aux médicaments spécifiques ; il y était recommandé de remplacer le produit injectable, la kanamycine (ou capréomycine), par de l’amikacine (12).
Les preuves d’effets permanents attribués à la toxicité des produits injectables ont incité à mettre au point de nouveaux traitements tels que des schémas plus courts sans produits injectables. En particulier, le Ministère sud-africain de la santé a communiqué à l’OMS des données d’observation sur un schéma plus court, entièrement oral, contenant de la bédaquiline d’une durée de 9 mois. Ce schéma a été examiné par l’OMS qui le recommande depuis 2019, avec les associations de médicaments suivantes : bédaquiline (utilisée pendant 6 mois), en association avec la lévofloxacine/ moxifloxacine, l’éthionamide, l’éthambutol, l’isoniazide (à forte dose), le pyrazinamide et la clofazimine pendant 4 mois (avec une possibilité d’extension à 6 mois si les résultats des frottis sont toujours positifs à la fin des 4 mois) ; suivi de 5 mois de traitement par de la lévofloxacine/moxifloxacine, de la clofazimine, de l’éthambutol et du pyrazinamide (4–6 Bdq[6]- Lfx[Mfx]-Eto-E-Z-Hh-Cfz / 5 Lfx[Mfx]-Cfz-Z-E).
Face au besoin urgent de schémas thérapeutiques plus efficaces pour les patients avec une ultrarésistance aux médicaments, y compris une résistance aux fluoroquinolones et d’autres profils de résistance, un certain nombre d’études et d’initiatives ont commencé à tester de nouveaux schémas thérapeutiques plus efficaces, comprenant des médicaments plus récents et repositionnés. L’une des premières études a été l’étude Nix-TB, menée par l’Alliance mondiale pour la mise au point de médicaments antituberculeux. Il s’agissait d’une étude de cohorte observationnelle, de phase trois, en ouvert avec un bras de traitement qui évaluait l’innocuité, l’efficacité, la tolérabilité et les propriétés pharmacocinétiques d’un schéma thérapeutique de 6 mois composé de bédaquiline, de prétomanide et de linézolide (BPaL), pouvant être étendu à 9 mois pour ceux qui ont oublié des doses ou pour les patients dont la culture restait positive ou passait de négative à positive entre les mois 4 à 6 du traitement (20). L’étude a été menée entre 2014 et 2019 sur trois sites, tous en Afrique du Sud, le premier patient ayant été recruté en avril 2015. L’étude Nix-TB a fourni à l’OMS des données qui ont été examinées par le GDG en novembre 2019 et ont abouti à la recommandation précédente pour l’utilisation du schéma thérapeutique BPaL chez les patients atteints de tuberculose pré-UR, dans des conditions de recherche opérationnelle. Deux essais contrôlés randomisés (ECR) achevés en 2021 (TB-PRACTECAL et ZeNix) ont fourni de nouvelles données probantes, incitant l’OMS à formuler de nouvelles recommandations ou à mettre à jour des recommandations existantes sur le traitement de la tuberculose MR-RR.
Objet de la mise à jour 2022 et données probantes disponibles
Le présent module donne des recommandations spécifiques sur le traitement de la tuberculose pharmacorésistante, notamment l’utilisation de schémas thérapeutiques pour la tuberculose sensible à la rifampicine et résistante à l’isoniazide (tuberculose-Hr), les schémas plus courts entièrement oraux pour la tuberculose MR-RR, les schémas plus longs pour la tuberculose MR-RR, le suivi de la réponse des patients au traitement de la tuberculose MR-RR, le début du TARV chez les patients sous antituberculeux de deuxième intention et la chirurgie pour les patients sous traitement de la tuberculose MR.
Deux nouvelles recommandations formulées à l’issue de la réunion du GDG 2022 organisée par l’OMS portent sur l’utilisation de nouveaux schémas thérapeutique de 6 mois, le dosage du linézolide et l’utilisation de schémas thérapeutiques modifiés de 9 mois.
L’accès aux nouvelles données a été obtenu grâce à une étroite collaboration avec les programmes nationaux de lutte contre la tuberculose, les chercheurs et un partenariat à but non lucratif de mise au point de produits (Alliance mondiale pour la mise au point de médicaments antituberculeux) qui étudie l’efficacité et l’innocuité de ces interventions (voir Annex 1).
Les données fournies pour l’examen du GDG sur l’utilisation de nouveaux schémas thérapeutiques de 6 mois provenaient de l’essai TB-PRACTECAL (données sur l’utilisation des schémas thérapeutiques BPaLM ; bédaquiline-prétomanide-linézolide-clofazimine (BPaLC) ; et BPaL), l’essai ZeNix (données sur l’utilisation du schéma BPaL avec différents schémas posologiques pour le linézolide) et l’étude Nix-TB (données sur l’utilisation du schéma BPaL). Les données sur l’utilisation d’un nouveau schéma plus court de 9 mois étaient fournies par le PNLT d’Afrique du Sud.
En outre, il existait des données sur les autres schémas thérapeutiques utilisés comme comparateurs externes, afin d’estimer l’efficacité des schémas d’intervention. Il s’agissait notamment de données sur l’utilisation du schéma thérapeutique plus court, entièrement oral, contenant de la bédaquiline recommandé par l’OMS (données provenant de la mise en oeuvre programmatique en Afrique du Sud) et sur les schémas thérapeutiques plus longs recommandés par l’OMS (données provenant de programmes de pays au Bélarus, en Fédération de Russie, en Géorgie, en Inde, au Mozambique, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, en République de Moldova et en Somalie) ; de données de Médecins Sans Frontières (MSF) provenant du travail sur le terrain dans plusieurs pays ; et de cohortes du projet EndTB fourni par MSF et Partners in Health.
En préparation de la mise à jour des lignes directrices, le GTB de l’OMS a également reçu les données d’un autre essai – l’essai NExT (Newer and Emerging Treatment for MR/RR-TB), un ECR ouvert de phase 2 à 3 évaluant l’efficacité d’un schéma thérapeutique entièrement oral de 6 à 9 mois pour le traitement de la tuberculose multirésistante en Afrique du Sud (21) par rapport aux soins de référence locaux à l’époque. La communication des données par l’investigateur principal et les collaborateurs de l’Université du Cap et du South African Medical Research Council est vivement appréciée. Cependant, au cours de la réunion du GDG, le groupe a estimé que les données de cette étude ne pouvaient pas être utilisées pour compléter la discussion sur la question PICO (population, intervention, comparateur et résultat) conçue pour cette étude, en raison de l’arrêt précoce de l’essai et de la variabilité des composants du schéma d’intervention. Cela ne remet pas en cause la grande valeur des résultats de l’essai, qui réitèrent l’infériorité et le profil d’innocuité nettement moins bon des schémas thérapeutiques contre la tuberculose pharmacorésistante à base de médicaments injectables et de fluoroquinolones (mais n’incluant pas les médicaments nouveaux et repositionnés). Surtout, l’essai a montré qu’un schéma entièrement oral de 6 mois permettait d’obtenir de meilleurs résultats qu’avec les schémas traditionnels de 9 mois ou les schémas plus longs à base de produits injectables, corroborant ainsi l’idée d’un schéma entièrement oral de 6 mois pour traiter la tuberculose MR-RR.
Le Tableau B décrit les données généreusement communiquées par les chercheurs et les PNLT au GTB de l’OMS. Le GTB remercie tous les partenaires, les PNLT et les chercheurs d’avoir communiqué leurs données.
Tableau B. Données disponibles pour la mise à jour des lignes directrices
BPaL : bédaquiline-prétomanide-linézolide ; BPaLC : bédaquiline-prétomanide-linézolide-clofazimine ; BPaLM : bédaquiline-prétomanidelinézolide-moxifloxacine ; VIH : virus de l’immunodéficience humaine ; DIP : données individuelles des patients ; M. tuberculosis : Mycobacterium tuberculosis ; TB-MR : tuberculose multirésistante ; ECR : essai contrôlé randomisé ; TB : tuberculose ; OMS : Organisation mondiale de la Santé ; TB-UR : tuberculose ultrarésistante.
Public cible
Les présentes lignes directrices s’adressent principalement aux décideurs des ministères de la santé ou aux administrateurs des programmes nationaux de lutte contre la tuberculose (PNLT) qui formulent des lignes directrices nationales sur le traitement de la tuberculose spécifiques au pays ou qui participent à la planification des programmes de traitement de la tuberculose. Les professionnels de la santé, notamment les médecins, les infirmières et les éducateurs travaillant dans des organisations gouvernementales et non gouvernementales, ainsi que les organismes techniques intervenant dans le traitement des patients et l’organisation des services de traitement devraient également utiliser ces recommandations mises à jour.
10 21 patients de l’étude Nix-TB ont reçu 600 mg de linézolide par jour, au début de la période de recrutement.