5.1.1 Justification et données probantes

La majorité des enfants atteints de tuberculose ont des formes moins graves de la maladie que les adultes. Des schémas thérapeutiques courts que ceux utilisés chez les adultes peuvent être efficaces pour traiter les enfants atteints de tuberculose, mais il n’existe pas à ce jour de données probantes permettant d’étayer ces affirmations. L’utilisation de schémas thérapeutiques courts peut aider à diminuer les coûts pour les familles et les services de santé, les éventuels problèmes de toxicité, les risques d’interactions médicamenteuses chez les enfants vivant avec le VIH ainsi que les problèmes d’observance. L’utilisation de schémas thérapeutiques courts, sûrs et efficaces chez les enfants atteints de tuberculose pharmacosensible ou de tuberculose pharmacorésistante présente des avantages pour les enfants atteints de tuberculose et leurs familles, et constitue une intervention clé pour atteindre les cibles de la Stratégie de l’Organisation mondiale de la Santé pour mettre fin à la tuberculose, ainsi que les cibles concernant les enfants fixées lors de la réunion de haut niveau pour mettre fin à la tuberculose qui s’est tenue en 2018 lors de l’Assemblée générale des Nations Unies. L’arrivée de nouvelles données probantes issues d’un essai récemment achevé sur le raccourcissement de la durée du traitement de la tuberculose pharmacosensible chez les enfants et les adolescents a ouvert la voie à de nouvelles recommandations sur des schémas thérapeutiques courts pour ce groupe.

L’essai SHINE (Shorter Treatment for Minimal Tuberculosis in Children) est le premier et le seul essai de phase 3 de grande taille à avoir évalué la durée du traitement antituberculeux chez les enfants atteints de tuberculose pharmacosensible non sévère. La réponse à cette question PICO a donc été formulée à partir des données provenant de cet essai et non d’une revue systématique (57). L’essai SHINE est un essai multicentrique, ouvert, à groupes parallèles, de non-infériorité, randomisé, contrôlé, à deux bras, comparant une durée de traitement de 4 mois (16 semaines) à la durée standard de 6 mois (24 semaines) chez des enfants âgés de moins de 16 ans atteints de tuberculose symptomatique non sévère. Les enfants et les jeunes adolescents âgés de moins de 16 ans ont reçu un traitement associant de la rifampicine, de l’isoniazide, du pyrazinamide, avec ou sans éthambutol, en suivant les doses recommandées par l’OMS, correspondant à la posologie pédiatrique (58).

Question PICO. Chez les enfants et les adolescents atteints de tuberculose non sévère, faut-il privilégier un schéma thérapeutique d’intervention de 4 mois par rapport au schéma standard de 6 mois correspondant aux lignes directrices de l’OMS?

Données probantes. Dans l’essai SHINE, le principal critère d’efficacité était un composite comprenant l’échec thérapeutique [incluant la prolongation du traitement (en dehors du remplacement des doses oubliées), le changement d’antituberculeux, ou le redémarrage du traitement en raison d’une suspicion d’échec thérapeutique], le fait d’avoir perdu le patient de vue au cours du traitement, la récidive de la tuberculose ou le décès dans les 72 semaines (à partir de la randomisation), après exclusion des enfants n’ayant pas atteint 16 semaines de suivi (intention de traiter modifiée). La marge de non-infériorité pour le critère d’efficacité principal était de 6 %. Le principal critère d’évaluation de l’innocuité était la survenue d’événements indésirables de degré 3 à 5 enregistrés pendant le traitement de la tuberculose.

La définition de la tuberculose non sévère utilisée dans l’essai SHINE était la suivante : tuberculose des ganglions lymphatiques périphériques ou tuberculose respiratoire (y compris l’atteinte des ganglions lymphatiques intrathoraciques non compliquée) confinée à un lobe sans cavité, absence d’obstruction importante des voies respiratoires, ou épanchement pleural non compliqué, et absence de tuberculose miliaire.

Les critères d’inclusion de l’essai SHINE étaient les suivants : enfants et jeunes adolescents âgés de moins de 16 ans ; poids supérieur ou égal à 3 kg ; absence de pharmacorésistance connue ; tuberculose symptomatique, mais non sévère ; résultats négatifs de l’examen de frottis de liquide d’aspiration gastrique ou d’un autre échantillon respiratoire (un résultat positif au test Xpert MTB/RIF avec une sensibilité à la rifampicine était autorisé)28 ; décision du clinicien de traiter avec un schéma thérapeutique standard de première intention ; absence de traitement antituberculeux au cours des deux années précédentes ; statut par rapport au VIH connu (positif ou négatif). Les critères d’exclusion de l’essai étaient les suivants : résultat positif de la recherche de bacilles acido-alcoolo-résistants sur un frottis réalisé à partir d’un échantillon respiratoire (un résultat positif de ce test réalisé sur un échantillon de ganglions lymphatiques périphériques était autorisé) ; naissance prématurée (<37 semaines) et âge inférieur à 3 mois ; tuberculose miliaire, tuberculose rachidienne, méningite tuberculeuse, tuberculose ostéoarticulaire, tuberculose abdominale, tuberculose congénitale ; toute pathologie non tuberculeuse préexistante susceptible d’avoir un effet négatif sur la réponse au traitement ou sur son évaluation (par exemple, une pathologie hépatique ou rénale, une neuropathie périphérique, ou la présence d’une cavité) ; toute contre-indication connue à la prise d’antituberculeux ; contact connu avec un cas source adulte ayant une pharmacorésistance (y compris une tuberculose monorésistante) ; pharmacorésistance connue chez l’enfant ; maladie grave ; grossesse.

Au total, 1204 enfants ont été recrutés dans l’essai entre juillet 2016 et juillet 2018. Leur âge médian était de 3,5 ans (âge compris entre 2 mois et 15 ans), 52 % étaient de sexe masculin, 11 % étaient infectés par le VIH et 14 % étaient atteints d’une tuberculose confirmée bactériologiquement. La rétention dans l’essai à 72 semaines et l’observance29 du traitement antituberculeux assigné étaient respectivement de 95 % et 94 %. Seize (2,8 %) enfants du bras ayant reçu un traitement pendant 16 semaines par opposition à 18 (3,1 %) enfants du bras ayant reçu un traitement pendant 24 semaines ont répondu au critère d’efficacité principal (échec thérapeutique), soit une différence non ajustée de -0,3 % (IC à 95 % : -2,3 à 1,6). La réussite du traitement a été rapportée chez 97,1 % des participants ayant reçu le schéma de 16 semaines et chez 96,9 % des participants ayant reçu le schéma de 24 semaines [risque relatif (RR) : 1,00 ; IC à 95 % : 0,98 à 1,02]. La non-infériorité du schéma thérapeutique de 16 semaines a été constatée dans toutes les analyses en intention de traiter, les analyses selon le protocole et les principales analyses secondaires, en limitant ces analyses aux 958 (80 %) enfants jugés au début de l’étude de manière indépendante par le comité d’examen des critères de jugement comme étant atteints de tuberculose. Au total, 7,8 % des enfants ont eu un événement indésirable de degré 3 à 5 dans le bras ayant reçu un schéma de 16 semaines, par rapport à 8,0 % dans le bras ayant reçu un schéma de 24 semaines (RR : 0,98 ; IC à 95 % : 0,67 à 1,44). Au total, 115 événements indésirables de degré 3 ou plus en cours de traitement ont été observés chez 95 enfants (8 %), 47 (8 %) dans le bras ayant reçu un schéma de 16 semaines et 48 (8 %) dans le bras ayant reçu un schéma de 24 semaines. Les événements indésirables les plus fréquents étaient les pneumonies ou les autres infections thoraciques (29, soit 25 %) ainsi que les événements en rapport avec une atteinte hépatique (11, soit 10 %) dans les deux bras. Au total 17 réactions indésirables de degré 3 ou 4, considérées comme possiblement, probablement ou certainement liées aux médicaments utilisés dans le cadre de l’essai ont été observées, dont 11 événements en rapport avec une atteinte hépatique ; toutes ces réactions indésirables sauf trois sont survenues au cours des huit premières semaines de traitement.

Observations du GDG. Le GDG a jugé que les effets souhaitables liés à cette question PICO sont liés aux résultats du traitement, mais que la réduction de la durée du traitement est également importante et souhaitable (car elle pourrait faciliter le traitement pour les enfants et les personnes qui s’occupent d’eux, et réduire les coûts pour les familles et le système de santé). Le GDG a expliqué que l’essai SHINE étant un essai de non-infériorité, le fait de ne détecter aucune différence dans les résultats défavorables entre les deux bras était ce que cet essai visait à démontrer. Par conséquent, la plupart des membres du GDG ont jugé que les effets souhaitables et les effets indésirables étaient négligeables. L’essai ayant démontré la non-infériorité du schéma thérapeutique de 4 mois, il a été estimé que l’équilibre entre les effets n’était en faveur ni de la durée courte ni de la durée longue du traitement. Le GDG a toutefois noté que la durée du traitement est une question essentielle qui a été étudiée plus avant dans le contexte de considérations telles que le coût, l’acceptabilité et la faisabilité.

Le GDG a également débattu sur le fait qu’une durée de traitement plus courte permettrait vraisemblablement de réduire les coûts tant pour le système de santé que pour les enfants atteints de tuberculose et leur famille. En définitive, il a convenu qu’il s’agissait d’une « économie modérée », malgré des divergences de vues quant à son ampleur. Il a estimé qu’une durée de traitement plus courte permettrait probablement de gagner en équité. Malgré l’absence de données directes sur l’acceptabilité, il a estimé que le schéma thérapeutique court était acceptable du point de vue des parties prenantes.

De plus, le GDG a estimé qu’en l’absence d’exposition à la tuberculose pharmacorésistante, l’accès à la radiographie thoracique aiderait à distinguer les formes non sévères des formes sévères de la maladie. Cependant, le groupe d’experts a reconnu que l’accès à la radiographie thoracique est souvent limité ou que la qualité de cet examen et la capacité à en faire une interprétation sont insuffisantes aux niveaux les moins élevés du système de santé, ce qui peut avoir des répercussions sur l’équité. Il a donc été jugé que la faisabilité variait selon les milieux. Le GDG a noté qu’il est extrêmement important de définir clairement ce qui constitue une forme « non sévère » de la maladie, et que les PNT doivent être encouragés à élargir l’accès à des radiographies thoraciques de qualité et à former les prestataires de santé à leur interprétation. Globalement, le GDG a estimé que lorsque la sévérité de la tuberculose chez les enfants peut être déterminée de manière adéquate dans des conditions programmatiques, il est alors tout à fait possible de mettre en oeuvre un schéma thérapeutique de 4 mois.

²⁸ Chez les enfants ayant participé à l’essai SHINE et chez qui un test Xpert MTB/RIF a été réalisé, les résultats étaient soit négatifs, soit très faibles ou faibles dans un format semi-quantitatif. Le test Xpert Ultra n’a pas été utilisé dans l’essai SHINE.

²⁹ Dans l’essai SHINE, l’observance était définie comme la proportion d’enfants ayant reçu une quantité appropriée de traitement (telle que définie dans le plan d’analyse statistique pour le schéma d’intervention et le schéma témoin ; un seuil de 80 % des doses allouées a généralement été utilisé, dans un laps de temps donné après le début de chaque phase du traitement (phase intensive et phase d’entretien).

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