5.2.1 Justification et données probantes

Une fois infectés par Mycobacterium tuberculosis, les jeunes enfants ont un risque élevé de développer les formes les plus sévères de la maladie, la plus redoutable étant la méningite tuberculeuse. Celle-ci touche principalement les jeunes enfants, avec un pic entre 2 et 4 ans (2). Chez l’enfant, jusqu’à 15 % des cas de tuberculose seraient des méningites tuberculeuses (62) ; l’incidence des méningites bactériennes attribuées à d’autres causes étant en baisse, la tuberculose représente dans de nombreuses régions la principale cause de méningite bactérienne (63). La méningite tuberculeuse est associée à une mortalité et une morbidité importantes ; dans une revue systématique et une méta-analyse publiées en 2014, le risque de décès chez les enfants âgés de 0 à 14 ans atteints de méningite tuberculeuse était estimé à 19,3 %, et le risque de séquelles neurologiques chez les survivants de la méningite tuberculeuse était estimé à 36,7 % (64). Même chez les enfants qui n’ont pas de séquelles neurologiques graves, les troubles de l’attention et du comportement sont fréquents et le coût humain ainsi que la charge financière pour les familles et la société sont élevés. Selon les résultats de cette revue, le fait de poser le diagnostic au stade clinique le plus avancé, ce qui était le cas chez près de 50 % des enfants atteints de méningite tuberculeuse, était associé au pronostic le plus défavorable. Pour le traitement de la méningite tuberculeuse, l’OMS recommande actuellement un schéma thérapeutique de 12 mois comprenant une administration quotidienne d’isoniazide, de  rifampicine, d’éthambutol et de pyrazinamide pendant les 2 premiers mois, puis d’isoniazide et de rifampicine pendant les 10 mois qui suivent (2HRZE/10HR) (8, 56). Les doses recommandées pour ce schéma thérapeutique sont les mêmes que celles utilisées pour le traitement de la tuberculose pulmonaire (8).

Cette recommandation sur l’utilisation de ce schéma thérapeutique de 12 mois est basée sur une revue de la littérature (65) et a été incluse pour la première fois dans le document Rapid advice : treatment of TB in children de 2010 (56). Cette revue a porté sur 46 études contenant des informations sur l’efficacité de différents schémas thérapeutiques et différentes posologies pour la prise en charge de la méningite tuberculeuse (25 études comprenaient des données pédiatriques, et 21 des données concernant à la fois des adultes et des enfants). La majorité de ces études n’étaient pas randomisées et ne comportaient pas de groupe de comparaison. Leur qualité était faible ou très faible, et aucune conclusion claire n’a pu être tirée des études d’efficacité, car elles étaient très différentes les unes des autres en termes de conception, de médicaments utilisés et de populations de patients étudiés. Du fait de l’absence de données comparatives, aucune des études figurant dans cette revue n’a été intégrée dans le système GRADE. 

Des schémas thérapeutiques courts sont utilisés dans certains pays pour traiter la méningite tuberculeuse chez l’enfant. L’Afrique du Sud, dans son document South African National TB Guidelines, recommande d’utiliser un schéma thérapeutique avec une administration quotidienne d’isoniazide, de rifampicine, de pyrazinamide et d’éthionamide pendant 6 mois (6HRZEto) (66). Ces recommandations de l’Afrique du Sud sont basées sur des avis d’experts, notamment en ce qui concerne le remplacement de l’éthambutol par un médicament (l’éthionamide) qui traverse plus facilement la barrière hémato-encéphalique (65). Un essai clinique est en cours pour comparer un schéma thérapeutique composé d’isoniazide à plus forte dose, de rifampicine à plus forte dose, de pyrazinamide et de lévofloxacine administrés quotidiennement pendant 6 mois, au schéma recommandé par l’OMS, mais ses résultats ne sont pas attendus avant 2023 (essai SURE, ISRCTN40829906). Des schémas courts, qui pourraient permettre d’améliorer l’observance du traitement et de réduire la charge pesant sur les personnes atteintes de méningite tuberculeuse et les systèmes de santé, pourraient être tout aussi efficaces et sûrs ; cependant, les conclusions de la comparaison des résultats obtenus avec des schémas courts et avec le schéma de 12 mois recommandé par l’OMS ne sont pas connues.

Question PICO : Chez les enfants et les adolescents qui ont une méningite tuberculeuse pharmacosensible présumée ou confirmée bactériologiquement, faut-il privilégier un schéma thérapeutique intensif de 6 mois à l’utilisation du schéma thérapeutique de 12 mois correspondant aux lignes directrices de l’OMS ? 

Données probantes. Pour obtenir des informations permettant d’étayer des recommandations sur le traitement de la méningite tuberculeuse chez l’enfant et l’adolescent, une revue systématique et une méta-analyse ont été réalisées afin de comparer l’efficacité de schémas thérapeutiques courts avec celle du schéma actuel de 12 mois recommandé par l’OMS (8). L’intervention principale d’intérêt était le schéma thérapeutique actuellement utilisé en Afrique du Sud (66) ; les résultats associés à d’autres schémas thérapeutiques courts ont été examinés dans des analyses secondaires. Les critères de recherche des données disponibles utilisés dans une revue systématique et une méta-analyse antérieures réalisées en 2014 ont été mis à jour, et la recherche a été effectuée en février 2021 (64). Les études comportant des informations disponibles sur au moins la composition et la durée des schémas thérapeutiques ont été incluses. Les schémas ne remplissant pas les conditions requises pour être retenus étaient les schémas ne comprenant pas de rifampicine, les schémas d’une durée supérieure à 12 mois autres que le schéma de l’OMS, les schémas intermittents et les schémas courts non intensifs. Des proportions combinées ont été obtenues pour les différentes études et pour les différents schémas thérapeutiques par le biais d’une méta-analyse au niveau des agrégats à l’aide d’un modèle linéaire mixte généralisé utilisant la quadrature de Gauss-Hermite pour les résultats suivants : décès entre le début et la fin du traitement, perdu de vue, réussite du traitement, séquelles neurologiques (chez les survivants), et survie sans séquelles neurologiques (chez les participants qui ont commencé le traitement). Du fait d’un manque de données, les analyses de sous-groupes prévues n’ont pas pu être réalisées.

Sur les 1820 références uniques passées au crible, le texte intégral de 149 articles a été évalué. Parmi ceux-ci, cinq répondaient aux critères d’inclusion de la revue systématique. Deux études de cohortes non publiées remplissaient également ces critères. Au total, quatre études portant sur des schémas thérapeutiques d’intervention (trois publiées et une non publiée) (67-70), et trois études portant sur le schéma de comparaison (deux publiées et une non publiée) (71-73) ont été identifiées. Aucune étude comparant directement différents schémas thérapeutiques les uns avec les autres n’a été identifiée. Trois des quatre études concernant les schémas thérapeutiques d’intervention ont été menées dans un seul centre d’orientation-recours en Afrique du Sud. Comme une seule étude, menée au Vietnam, portait sur les résultats d’un schéma thérapeutique de 8 mois (69), celle-ci a été exclue de la métaanalyse. Les deux études publiées sur le schéma de comparaison ont été menées dans différents sites en Inde (71, 72), tandis que les données de l’étude non publiée ont été recueillies dans divers centres en Europe par le Pediatric Tuberculosis Network European Trials Group (ptbnet) (73). Au total, 837 patients atteints de méningite tuberculeuse ont reçu des schémas d’intervention, l’âge médian dans chaque étude variant de 2,3 à 5,5 ans (âge compris entre 2 mois à 15 ans). Concernant les 282 patients traités par le schéma de comparaison, l’âge médian dans l’étude européenne était de 3,3 ans, alors que les études menées en Inde n’ont pas fourni de données récapitulatives sur l’âge.

Le nombre cumulé de décès a été enregistré à la fin du traitement pour chaque schéma thérapeutique (soit 6 mois après le début du traitement dans les études portant sur le schéma d’intervention, et 12 mois après le début du traitement dans les études portant sur le schéma de comparaison). Dans les études portant sur le schéma d’intervention, 0,0 % à 9,6 % des patients sont décédés dans les six mois ; la plupart de ces décès sont survenus rapidement après l’hospitalisation et concernaient principalement des patients qui présentaient un stade 3 au moment du diagnostic initial. Dans les études portant sur le schéma de comparaison (c’est-à-dire la norme de soins), un décès a été enregistré chez 7,1 % à 30,0 % des patients. Dans l’une de ces études, le diagnostic au stade 3 était celui qui était le plus fortement associé à la mortalité, mais les données sur les résultats en fonction du stade n’ont pas été fournies. Dans une méta-analyse à effets aléatoires, la proportion combinée de décès était respectivement de 6,0 % (IC à 95 % : 2,0-13,0) et de 24,0 % (IC à 95 % : 18,0-32,0) chez les enfants et les adolescents ayant reçu le schéma d’intervention et chez ceux ayant reçu le schéma de comparaison. Une réussite du traitement a été obtenue chez 78,5 % à 100,0 % des patients avec une proportion combinée à effets aléatoires de 95,0 % (IC à 95 % : 74,0 à 99,0 %) dans les études portant sur le schéma d’intervention, et chez 70 % à 85,7 % des patients avec une proportion combinée à effets aléatoires de 75,0 % (IC à 95 % : 69,0 à 81,0 %) dans les études portant sur le schéma de comparaison. Les séquelles neurologiques étaient définies et évaluées de manière différente dans chaque étude. Des séquelles neurologiques, la plupart étant classées comme légères, ont été observées chez 50,0 % à 66,7 % des patients traités par le schéma d’intervention. La grande majorité de ces séquelles ont été constatées chez des patients souffrant d’une méningite de stade 2 ou 3. Ce type de séquelles a été observé chez 31,9 % à 50,0 % des patients traités avec le schéma de comparaison. Dans une étude portant sur le schéma de comparaison menée en Inde, les séquelles neurologiques ont été classées comme légères dans 17 cas sur 29 (58,6 %). Les proportions combinées à effets aléatoires de séquelles neurologiques chez les survivants étaient respectivement de 66,0 % (IC à 95 % : 55,0-75,0) et de 36,0 % (IC à 95 % : 30,0-43,0) pour le schéma d’intervention et pour le schéma de comparaison. Parmi les 135 patients négatifs et les 13 patients positifs pour le VIH qui ont reçu le schéma d’intervention en Afrique du Sud, aucun n’a présenté de rechute dans les deux ans qui ont suivi la fin du traitement. D’autres études n’ont pas fait état de rechutes.

Étant donné que ces études n’étaient pas de nature comparative, mais qu’il s’agissait d’études observationnelles, seules ont été fournies des descriptions narratives faisant état de proportions combinées et non des estimations des mesures de l’effet. Le niveau de preuve a été jugé très faible pour tous les résultats en raison d’un risque très important de biais, de présence d’incohérences importantes ou très importantes dans les schémas thérapeutiques utilisés, et du caractère indirect très important. Du fait de l’absence de données comparatives, le degré d’imprécision n’a pas pu être évalué.

Les personnes chargées de la revue ont conclu que ces estimations combinées doivent être interprétées avec prudence compte tenu du petit nombre d’études, du risque de facteurs de confusion associés aux indications, de la présence possible d’autres facteurs de confusion résiduels et de l’hétérogénéité entre les études en ce qui concerne l’évaluation des séquelles neurologiques.

Observations du GDG. Même si les membres du GDG ont bien examiné les données probantes relatives aux avantages du schéma d’intervention et à la plausibilité biologique, ils ont tenu à souligner le très faible niveau de preuve de ces données. Ils ont décidé de qualifier l’équilibre entre les effets comme n’étant « ni en faveur de l’intervention ni en faveur de la comparaison ». Cette décision traduit le fait que les effets souhaitables et les effets indésirables variaient, et que, globalement, le niveau de certitude des données était très faible. Reconnaissant la rapidité avec laquelle l’état des enfants atteints de méningite tuberculeuse peut se détériorer, et compte tenu du niveau de certitude très faible des données, ils ont jugé préférable de ne pas privilégier un schéma thérapeutique par rapport à un autre.

Les membres du GDG ont également noté que la faisabilité de l’introduction du schéma thérapeutique intensif court dépendait de la situation. L’acceptabilité, l’accessibilité financière et l’accès aux différents médicaments (y compris à la formulation d’éthionamide adaptée aux enfants, à savoir un comprimé dispersible de 125 mg) sont des facteurs contextuels importants, de même que toute autre considération relative à la mise en oeuvre, comme la nécessité et la disponibilité des tests de suivi requis pour le schéma thérapeutique court. Les membres du GDG ont estimé que le schéma thérapeutique intensif court était vraisemblablement acceptable, car il comprend des médicaments utilisés depuis de nombreuses années, notamment des antituberculeux de première intention ainsi que l’éthionamide. Le coût du schéma d’intervention est plus élevé que celui du schéma de comparaison, mais il ne concerne que le coût des médicaments ; les membres du GDG ont indiqué l’existence d’autres coûts élevés (notamment pour les patients, les familles et le système de santé).

Le GDG a reconnu que les données concernant d’autres schémas thérapeutiques pour le traitement de la méningite tuberculeuse étaient limitées et que les travaux devaient se poursuivre en vue d’optimiser et de mieux comprendre les options de traitement de cette maladie en considérant les éléments à prendre en compte pour la mise en oeuvre, par exemple la posologie.

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